mercredi, janvier 24, 2007

Polémique sur les chiffres du chomage : au-delà des statistiques, la crédibilité de la république

Une polémique a été soulevée récemment par le Canard Enchaîné sur les chiffres du chômage. Cet sujet complexe mérite une petite explication.

D'abord, comment mesurer le chomage ? Comme le rappelle l'INSEE, il existe en France deux mesures. Le première consiste à comptabiliser les personnes inscrites à l'ANPE. En fonction du type d'emploi recherché par ces demandeurs (à temps plein, à temps partiel, en CDD ou en CDI), ils sont comptabilisés dans différentes catégories. L'indicateur le plus courant est le chômage de catégorie 1 (chômeurs cherchant un emploi en CDI à temps plein).

Cette mesure est relativement restrictive, puisqu'elle ne comptabilise que ceux qui ont fait la démarche pour s'inscrire (notamment pour bénéficier des allocations chômage, mais ces dernières ne concernant que moins d'un chomeur sur deux, les autres ayant des allocations telles que le RMI, ou rien du tout) et qui ont été acceptés. Cet indicateur mesure donc moins le nombre de personnes qui recherchent un emploi, que le nombre de celles qui en recherchent un grâce au service public de l'emploi, soit qu'ils y soient fortement incités, soit qu'ils y trouvent un intérêt.

L'autre mesure est le chômage au sens du Bureau International du Travail, ou BIT. Selon l'INSEE, c'est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions : ne pas avoir travaillé durant une semaine, être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours et chercher activement un emploi. Ce chômage est mesuré par sondage, ce qui permet de toucher des personnes qui cherchent activement un emploi sans pour autant s'inscrire à l'ANPE. Entre deux sondages, il est estimé, notamment à partir du chômage ANPE - ce qui ne pose pas de problème si les deux définitions du chômage évoluent dans le même sens.

Pour résumer, le premier indicateur mesure le nombre de personnes aidées dans leur recherche par l'ANPE, et le second mesure le nombre de chomeur existant réellement : quand les deux baissent en même temps, c'est bon signe et c'est logique (s'il y a moins de chomeurs, il y a moins de personnes à aider). En revanche quand le premier baisse, mais pas le second c'est mauvais signe et inquiétant : celà signifie qu'on aide moins des chômeurs toujours aussi nombreux (ca peut être le cas s'ils sont radiés abusivement des liste de l'ANPE).

Si l'en croit le Canard Enchaîné, c'est ce qui se serait produit récemment, la publication l'actualisation du chômage BIT ayant été repoussée à après les élections . Si celà était vrai, ce serait extrêmement grave, et placerait la France à un niveau proche de celui de ces républiques bananières, où les statistiques publiques, les médias et la monnaie sont les jouets du pouvoir politique. Qui voudrait investir dans un pays qui manipule les informations sur sa santé (et donc indirectement le cours de ses actions), à la manière d'un Enron manipulant ses comptes ?

On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'une vague querelle d'experts. C'est au contraire une question fondamentale, qui met en question la confiance que le monde, français y compris, peut placer dans la France. Face à une telle accusation, qu'il faut espèrer infondée, la meilleure solution pour le gouvernement serait dépêcher immédiatement une enquête sur la réalité de la situation et pour le parlement de lancer une commission d'enquête. Non pas en raison d'un soupcon sur l'institution ou sur son personnel, mais, au contraire parce qu'il s'agirait de la seule facon de lever tout doute sur la statistique publique...


NB : Plus d'infos sur les définitions ici.

samedi, janvier 20, 2007

Marx, l’Ile de Ré et l’impôt sur la fortune

Le débat sur l’ISF oppose en fait deux visions de la fiscalité. Un premier point de vue considère que le capital résultant d’accumulation de revenus (salaires, successions, gains au loto…), il vaut mieux taxer les revenus une bonne fois pour toute, et exonérer (ou taxer légèrement) le capital. C’est la thèse de nombreux économistes. C’est aussi, d’une certaine façon, celle de Marx puisqu’elle revient à considérer que le capital n’est rien d’autre que du « travail immobilisé ». Notons au passage qu’il est incohérent de plaider pour la suppression de l’impôt sur la fortune et la baisse des droits de successions – ou plutôt qu’un telle position relève d’une logique de négation de l’impôt qui n’a rien à voir ni avec l’efficacité économique, ni avec la justice fiscale.

Un deuxième point de vue considère qu’ « une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés » (article 13 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Dans cette optique, un impôt sur le capital est un complément nécessaire aux impôts sur le revenu et sur la consommation si l'on souhaite répartir l'effort de solidarité fiscale sur des formes de richesse qui ne se traduisent pas forcément en revenus.

Dans cette seconde optique, refuser le principe d'un impôt sur la fortune, c'est considérer qu'un salarié qui gagne 4 000 euros par mois et paye 1 500 euros de loyer est plus riche et doit donc payer plus d'impôts qu'un autre qui gagne 3 000 euros par mois mais qui est propriétaire d'un appartement de 400 m2 valorisé à 2,5 millions d'euros, hérité de ses parents, ou produit d'achats et de reventes successives d'une résidence principale aux bons moments du cycle immobilier. En effet, sans impôt sur le capital, le premier sera toujours plus taxé que le deuxième.

Notons qu’il existe deux façons de rapprocher la deuxième approche de la première. D’abord, en définissant un « revenu en nature » pour chaque élément de patrimoine : posséder un logement revient en effet à bénéficier d’un « loyer en nature ». Or, si celui qui possède un million de placements et paye le loyer d’un logement qui en vaut autant paie un impôt sur le revenu du capital, celui qui possède un appartement valant un million ne paye rien. Le deuxième objectera évidemment qu’il ne « gagne rien », ce qui n’est pas tout à fait exact : il gagne le fait d’habiter dans un logement luxueux, ce qui vaut beaucoup ! Cette taxation est d’autant plus justifiée que le revenu résultant de la plus-value sur le logement principal est en France exonérée d’impôt : nous sommes donc précisément dans le cas où l’argument selon lequel le capital est un « revenu capitalisé » est inexact, puisque le revenu concerné n’a précisément pas été imposé !

Le problème posé par cette approche est le « syndrome de l’Ile de Ré » : des paysans qui ont des revenus faibles, mais qui sont imposés parce que le fait d’habiter un ferme devient du luxe, dès lors que les prix de l’immobilier font de cette ferme un bien convoité ! Le problème politique est réel : accepter un impôt qui force un paysan de l'île de Ré qui n'a rien changé à son mode de vie à vendre un terrain parce que le prix du terrain a augmenté autour de lui, c'est accepter un système qui soumet la liberté de certains aux errements du marché. Notons cependant que l'impôt sur le revenu ou la TVA comportent le même type d'injustice : la TVA payée sur un bien volé ou perdu ou l'impôt sur le revenu payé par un contribuable qui épargne totalement, perd ou dilapide ce revenu, touchent également des contribuables qui peuvent avoir un train de vie réel très modeste.

La seconde façon pour rapprocher les deux visions de la fiscalité consisterait à « capitaliser » l’ISF pour le percevoir au moment des successions. Il serait par exemple tout à fait possible de «capitaliser» l'ISF dû au titre d'actifs non productifs de revenus (une ferme à l’ile de Ré par exemple) sous la forme d'une hypothèque qui ne serait acquittée qu'au moment de la succession ou de la cession du bien. Le paysan de l'île de Ré serait sauf, tant qu'il ne vend pas son terrain, et il ne subirait aucune pression pour vendre son bien. La justice fiscale serait également sauve, puisque le principe d'une taxation progressive des richesses serait appliqué de façon uniforme, sans créer une de ces niches qui font que chacun finit par avoir l'impression d'être le seul à payer réellement l'impôt théoriquement dû par tous.

dimanche, janvier 14, 2007

Le bonheur : une idée neuve en économie ?

Il est généralement admis que les décisions politiques qui permettraient d’augmenter le revenu de tous les français sont de bonnes décisions. Mais qu’en est-il des politiques qui ralentiraient le PIB pour accélérer la baisse du chômage ? Ou de celles qui détériorent le cadre de vie (emplois précaires, problèmes de santé au travail ou conditions de travail tellement stressantes qu’elles finissent par déteindre – voir à détruire – la vie familiale) ?

Pour répondre à ces questions, il faudrait disposer d’études permettant de savoir à quelle augmentation de revenu équivaut, par exemple, le fait de rester en bonne santé, stable dans sa vie professionnelle ou dans sa vie familiale. Or ces études existent, et même si leurs résultats mériteraient d’être approfondis et confirmés, elles donnent des enseignements utiles pour le débat présidentiel.

Ainsi, selon Oswald, il faut en moyenne, 270.000 livres sterling de plus par an pour compenser en termes de bonheur le fait de perdre son emploi. Pour compenser la perte d’un être cher, il faut 170.000 livres annuelles. Pour compenser l’impact psychologique d’une perte d’emploi, il faut jusqu’à 490.000 livres annuelles.

Ces chiffres confirment une chose : les vœux de début d’année portent généralement sur l’amour, la santé et la réussite professionnelle plutôt que sur l’argent, ce n’est pas pour rien. En effet, si l’on suit les résultats de cette étude, l’évolution du niveau de revenu est secondaire par rapport aux autres évènements de la vie – puisqu’il faut des augmentations phénoménales de revenu pour compenser des peines de santé, d’emploi ou de cœur. C’est à la fois banal, et totalement révolutionnaire – si l’on prend en compte le fait que la plupart des modèles économiques stipulent que les individus recherchent avant tout un revenu plus élevé. Avis à ceux qui proposent un programme à la France en partant d’une comparaison entre notre pays et un marché : c’est donc Meetic, le « marché » des cœurs à prendre, plus que Wall Street qui représenterait le modèle le plus pertinent.

Ces études apportent également des résultats plus paradoxaux. Comme par exemple le fait que le niveau de bonheur semble, au-delà d’un certain point, diminuer avec la durée des études. Ou le fait que, passé un certain revenu par habitant de l’ordre de 10 à 15.000 euros par an, il n’y a plus de lien systématique entre l’augmentation du PIB et l’augmentation du nombre de personnes se déclarant heureuses.

Notons que ces études ne bannissent pas pour autant les politiques publiques d’innovation ou de qualification qui permettraient d’augmenter la croissance : une augmentation du revenu « consensuelle » qui se réaliserait sans effet majeur sur les autres composantes du bonheur serait évidemment souhaitable. Il est par ailleurs indéniable que le « lieu de sociabilité » des français n’est plus uniquement la famille ou le village, mais souvent l’entreprise. Le progrès économique ou l’état de santé des entreprises française n’est pas donc, loin s'en faut, un facteur négligeable. En revanche on pourrait questionner sérieusement une politique de croissance qui ne réduirait pas le chômage, qui dégraderait les conditions de travail sans bénéfice clair, dont les bénéfices seraient mal répartis (et dont les responsables d’entreprises eux-mêmes déclareraient ne pas avoir besoin).

En rêvant un peu et en extrapolant (abusivement) ces résultats, on pourrait proposer la nationalisation des sites de rencontres et des agences matrimoniales, au sein d’un grand service public de la vie conjugale. C’est un peu ce qu’a fait Singapour, seul pays au monde – à ma connaissance – à disposer d’un ANPE des cœurs. En discutant de ce sujet crucial avec un responsable diplomatique singapourien de cette agence, ce dernier m'avait cependant indiqué que l'initiative publique répondait à un besoin fort de leur concitoyens, frappés par la baisse du rôle des familles dont la formation des couples (pour dire vrai, le même responsable m'indiqua ensuite "Mais dès que cette agence sera rentable, nous la privatiserons !"). On pourrait aussi proposer un programme qui augmenterait les impôts, mais réduirait le chômage, multiplierait les grandes fêtes populaires (et donc les possibilités de rencontres), et augmenterait sensiblement les moyens de prévention et santé publique. On pourrait aussi recommander de lier toute politique de développement de la formation à un objectif final (civique, philosophique, professionnel…), faute de quoi l’on risque de voir l’évolution du niveau d’études s’accompagner d’une augmentation des frustrations.

Juger les politiques publiques sur le fait qu’elles puissent rendre heureux ? Avant d’opérer une « rupture » aussi osée, il faudrait évidemment approfondir et préciser les résultats ci-dessus. Il faudrait par exemple positionner sur l’échelle du bonheur des éléments tels que l’insécurité réelle ou perçue, la satisfaction de besoins essentiels (logement/chauffage/nourriture/…) ou la qualité du cadre de vie. On ne peut donc que regretter vivement que les nombreux instituts d’étude et d’analyse stratégique financés sur fonds publics n’en aient pas fait un thème d’étude prioritaire. En effet, s’il n’est pas du ressort de la politique de faire bonheur des peuples malgré eux, il ne serait pas inutile d’approfondir la nature et l’ampleur de l’effet des politiques publiques sur la satisfaction de nos concitoyens.

lundi, janvier 08, 2007

L'Enigme des Chomeurs Disparus

(article publié par Alternatives Economiques)

L’ANPE enregistrat une baisse de 125 000 chômeurs en 2005 alors que la croissance n’avait été que de 1,2 %, et 110 000 de moins depuis le début de l’année mi 2006, alors que le secteur marchand n’a créé que 60 000 emplois supplémentaires entre mars 2005 et mars 2006. Où sont donc passés les chômeurs disparus ?

La première cause de cette énigme tient aux départs en retraite : alors que la population active a augmenté de 277.000 personnes en 2003, elle n’a progressé que de 119.000 l’an dernier. Pour stabiliser le chômage, il fallait donc créer 158.000 emplois de moins en 2005 qu’en 2003. Pour 2006, l’INSEE prévoit encore 50.000 chômeurs de moins du fait des départs en retraite.

Par ailleurs, l’écart entre le nombre de chômeurs reconnus par l’ANPE et le nombre de ceux qui vivent une situation de chômage (déclarant au BIT être sans emploi et effectuer des démarches pour en trouver un) a progressé spectaculairement, passant de 178.000 personnes en 2001 à 290.000 aujourd’hui. Cet écart, qui reflète notamment le durcissement des conditions d’indemnisations des chômeurs, n’évolue plus au cours des derniers mois. En revanche, la multiplication des convocations à l’ANPE fin 2005 a entraîné une hausse des absences aux convocations, et donc des radiations de chômeurs.

Enfin, la baisse du chômage tient à la relance des emplois aidés ou publics. En 2003, leur nombre baissait de 59.000. Il a progressé de 14.000 en 2005, et il évoluera de 80.000 en 2006 selon la loi de finances, qui y consacre 780 millions d’euros. Un beau « coup d’accordéon » du gouvernement : comprimer massivement les emplois aidés au début du mandat, et les augmenter tout aussi massivement à proximité des échéances électorales…

Au total, à croissance comparable, le chômage progressait de 138.000 en 2003, et diminuait de 125.000 en 2005. Or l’écart est précisément égal à l’effet de la démographie (158.000), des emplois aidés (14.000+59.000), et aux radiations de fin 2005 pour le solde (31.000). Voilà pour l’énigme des chômeurs disparus !

Il reste cependant à faire en sorte que la baisse du chomage gagne en ambition pour attaquer les causes profondes du chômage. Et cela malgré l’effet « papy boom » qui pourrait inciter les pouvoirs publics à relâcher leur effort.