dimanche, mai 21, 2006

La guerre économique : par les coûts ou par l’innovation ?

La concurrence se joue sur les coûts (produire la même choses, moins cher) et sur la différenciation (produire une chose différente des autres, désirée par les clients). Des pays qui partagent la même monnaie ne peuvent pas être mauvais sur ces deux aspects à la fois : si c’était le cas, le taux de change s’ajusterait jusqu’à ce que ses produits soient « en moyenne », ni meilleurs ni plus mauvais. La crainte qu’à force de perte sa compétitivité l’Europe ne puisse plus rien exporter est une chimère : dans ce cas, le cours de l’euro baisserait jusqu’à ce que la balance commerciale s’équilibre. Nos produits seraient à nouveau compétitifs, mais les européens payeraient plus cher les produits importés. On notera d’ailleurs que c’est plutôt l’inverse qui se réalise actuellement puisque depuis sa création l’euro a progressé face au dollar.

Reste qu’au sein de la zone euro la France pourrait s’affaiblir si elle devenait la plus chère. Est-ce le cas ? Non, répond une étude récente de KPMG : la France est un site d’implantation plus compétitif que la moyenne des pays développés, et caractérisé par des coûts du travail relativement bas. Ce constat est vrai au niveau européen, il l’est également par rapport aux Etats-Unis. Et l’étude n’est pas une étude réalisée par un théoricien dans un laboratoire : il s’agit d’une étude du même type que celle qu’aurait fait KPMG si un grand groupe lui avait demandé d’étudier le meilleur site pour une implantation.



Globalement, la France se situe en 3e position, juste derrière le Canada et Singapour. Il serait difficile pour la France d’atteindre le niveau de Singapour (qui doit sa place à des niveaux de salaires très faibles, sans doute liés à la possibilité des entreprises de faire appel à de la main d’œuvre malaisienne ou indonésienne). Par rapport au Canada, nous disposons d’un léger handicap en terme de coûts salariaux (370 euros d’écart, soit un surcoût de 6 %), compensé aux deux tiers par une charge fiscale et des coûts de transports ou d’énergie inférieurs (250 euros).

Le « modèle français » a des inconvénients dont certains ne sont pas pris en compte dans l’étude KPMG (la difficulté d’une entreprise à discuter avec un nombre invraisemblable de décideurs nationaux et locaux, le poids – réel ou supposé – de la réglementation, ou la formation des salariés). Néanmoins ce modèle représente un équilibre globalement satisfaisant : au moment d’implanter une usine nouvelle, ses surcoûts en matière de charges sont compensés par des salaires plus faibles (car les salariés n’ont pas à se payer eux-mêmes une protection santé ou vieillesse) et par des choix de grandes infrastructures (transports, télécoms, énergie) qui bénéficient aux entreprises !

Faut-il pour autant considérer que ce sujet est clôt pour la présidentielle 2007 ? Non bien sur : comme je le rappelais en introduction, l’innovation et la créativité sont des éléments importants, sur lesquels la position française est sans doute moins favorable. C’est sans doute pourquoi l’Allemagne, pourtant « plus chère », réalise de meilleures performances à l’export. Par ailleurs, l’essentiel des nouvelles activités créées ne sont pas créées par des grands groupes qui font le choix du site le moins coûteux. Il s’agit surtout de créations locales, de personnes qui développent leur activité là où ils se trouvent. Voilà pourquoi le véritable combat pour la compétitivité doit être celui de « l’intelligence collective » : comment innover davantage, comme monter en gamme.

Du point de vue économique comme du point de vue social, nous devons donc sortir du débat sur la compétitivité « par le haut » en lorgnant sur le modèle danois, allemand ou japonais (une spécialisation et une innovation qui permet de financer le modèle social) plutôt que sur le modèle singapourien, qui utilise l’immigration pour offrir des coûts du travail très faibles tout en préservant le revenu des nationaux.

dimanche, mai 14, 2006

Communication et politique : divorce ou secondes noces ?

(avec Nina Mitz, paru dans Stratégies le 11 mai 2006)

Selon le baromètre SOFRES/Figaro, 60 % des Français faisaient confiance à Jean-Pierre Raffarin lorsqu'il a été nommé Premier Ministre et il a mis plus d'un an pour descendre en-dessous du niveau de 40 %, auquel a débuté Dominique de Villepin. Celui-ci n'a d'ailleurs jamais réellement décollé : à part en août 2005, le nombre de Français qui ne lui faisaient pas confiance a toujours été supérieur au nombre de ceux qui lui faisaient confiance. Ces chiffres étonnent, car ils divergent de l'impression que donnait jusqu’au conflit du CPE - et à fortiori jusqu’à la récente affaire Clearstream - le Premier Ministre là où les Français pouvaient le voir le plus souvent : à la télévision.

Cet écart se retrouve dans une autre enquête SOFRES, consacrée à la crédibilité des médias. Elle montre que depuis 20 ans, la crédibilité de la télévision a fortement baissé : la part de ceux qui pensent que les choses se sont passées comme le dit à la télévision est passée de 65 % en 1998 à 44 % en 2006. C'est vrai, dans une moindre mesure, pour la radio, la presse étant relativement moins touchée.

On pourrait s'en inquiéter et y voir le signe d'une dégradation de la qualité des médias, si ce constat n'allait pas de pair avec une autre réalité. En vingt ans, l'information télévisée à été partiellement privatisée, mais elle n’a pas été mise très fortement en concurrence : pour la plupart des Français cette information est encore en fait limitée à 4 ou 5 chaînes, et la concurrence, comme les moyens des rédactions, restent somme toute assez modestes. La concurrence a été plus forte pour l'information radiophonique, avec par exemple la création des FM d’abord, puis le lancement de France Info ou de BFM. L'information écrite, quant à elle, a été soumise à une double révolution : technologique, avec le développement d'internet et des nouvelles technologies de communication, et économique, avec le développement de la gratuité, qu'il s'agisse de la presse ou des sites web des journaux. Plus personne ne « contrôle » l'information - certains blogs allant jusqu'à corriger des erreurs lues dans la presse. L’arrivée en nombre de médias étrangers, captés facilement par le Web ou les bouquets numériques – et demain le téléphone mobile - , procure également une alternative crédible à ceux qui cherchent à se faire librement une opinion.

Cette révolution technique des mass media n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la communication. Nous sommes passés du « one to one » d’antan, qui privilégiait la relation personnelle, au « one to many » (imprimerie puis mass media) des années 30 à 60 au « many to many » (multiplication et éclatement des médias dont internet). Il faut désormais des professionnels d’un nouveau type capables de s’adapter non seulement à une grande exigence de rapidité mais aussi à la fin de l’hexagonalité. Il leur faut savoir dépasser les outils classiques du « spin doctoring », dont l’utilisation est encore trop souvent aléatoire, comme si l’accumulation d’expressions pouvait occulter la vacuité de l’ensemble. Ils doivent savoir anticiper l’impact sur l’opinion d’informations de toute origine pour les traiter professionnellement, systématiquement et immédiatement et non pas sporadiquement et doucement comme cela était possible jusqu’à présent.

Deux écoles peuvent être remarquées. L’école « créative », plutôt latine et l’école « méthodique » plutôt américaine. La compétition est telle et l’internationalisation si installée, qu’il ne suffit plus désormais d’être bon dans l’un de ces axes seulement.

Ainsi, le parcours de Blair doit-il beaucoup à un « mix » vertueux entre une communication politique de qualité et une action rénovatrice mises au point par Mandelson et Gould orchestrant les idées de Giddens. De même Clinton, aux Etats-Unis, a-t-il su faire confiance à Carville pour choisir l’économie comme point d’articulation de sa campagne et laisser Rubin et Greenspan en assurer la réussite..

Cette professionnalisation de la communication nous emmène-t-elle vers un modèle dans lequel la politique se vend comme de la lessive ou du café ? Nous pensons le contraire, et ce pour deux raisons. D'abord parce que, contrairement à la lessive, les choix politiques renvoient aux valeurs et induisent une implication personnelle. Ensuite, parce que la communication n'est déterminante que lorsqu'il n'existe pas de vrais choix. Or en 2007, la France aura un choix à faire : un modèle libéral, déjà incarné à droite, et un modèle socio-démocrate, que la gauche devra proposer.